Incivilités et violences dans les situations d’accueil du public : comprendre, prévenir et gérer

accueil incivilité formation

L’exposition des professionnels aux violences externes, c’est-à-dire dans leurs relations avec les usagers, est une question récurrente depuis plusieurs années. Le constat est général quel que soit le secteur d’activité : les salariés en contact avec le public se sentent de plus en plus exposés à des situations, des comportements agressifs ou violents qui sortent du cadre de travail normal. En France, plus de trois salariés sur quatre travaillent en contact direct avec le public, en face à face ou par téléphone, ce qui laisse entrevoir l’ampleur potentielle du niveau d’exposition.

Certes, l’accueil du public n’est jamais une sinécure, et celles et ceux dont c’est le métier sont régulièrement confrontés à ces situations d’irrespect et de violences. Ce phénomène, en pleine recrudescence ces dernières années, pose de sérieux problèmes et engendre de lourdes conséquences tant pour les collaborateurs que pour l’organisation elle-même. Pourtant, il ne s’agit pas d’une fatalité et des mesures peuvent être mises en place pour améliorer les choses.

Des comportements récurrents et préoccupants

L’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail précise la définition des violences externes ; elles regroupent les « insultes, menaces ou agressions physiques ou psychologiques exercées contre une personne sur son lieu de travail par des personnes extérieures à l’entreprise, y compris par des clients, qui mettent en péril sa santé, sa sécurité ou son bien-être ». S’ajoutent également les incivilités qui prennent diverses formes : cris, attitudes intimidantes, moqueries, comportements irrespectueux, etc.

Selon l’enquête Conditions de travail de la Dares, conduite depuis 2010, près des trois quarts de la population active déclarent être exposés aux risques de violences externes. Déjà en 2016, on identifiait que 15 % des salariés déclaraient avoir été victimes d’une agression verbale de la part du public au cours des 12 derniers mois (enquête Conditions de travail 2016 de la Dares). Cette proportion était de 2 % pour les agressions physiques ou sexuelles. Les résultats de l’enquête Sumer de la Dares indiquent que tous les secteurs sont concernés (agriculture, industrie, construction, tertiaire, secteur public).

Ces chiffres semblent être en nette progression depuis la fin de la crise sanitaire Covid19. De nombreux collaborateurs font état de stress, d’anxiété, voire de troubles de santé mentale suite à ces incidents. Certains vont jusqu’à envisager un changement de poste ou même d’arrêter complètement leur activité professionnelle. Selon les résultats d’une étude récente menée par Christine Porath, professeure à l’Université de Georgetown, les seules incivilités entraînent des conséquences dévastatrices sur la motivation des équipes, de même que sur la performance et la productivité au travail. Ainsi, en présence d’incivilité :

  • 66 % des collaborateurs réduiraient leurs efforts
  • 80 % consacreraient du temps à ruminer la situation et chercher à comprendre ce qui s’est passé
  • 12 % quitteraient leur emploi

Étonnamment, toujours selon l’étude, être témoin ne produit pas moins d’effets que si l’on est la personne qui subit l’incivilité. Voir ou entendre un collègue se faire rabaisser ou insulter nous affecte tout autant, minant aussi notre performance et notre motivation.

Au-delà de l’impact sur les individus, ces agressions verbales et ces incivilités ont également des répercussions négatives sur l’organisation dans son ensemble. Elles nuisent à l’image de marque, à la qualité du service rendu et peuvent même engendrer des coûts financiers conséquents liés à l’absentéisme ou au turnover du personnel.

Quelles en sont les causes profondes ?

Pour Laurent Mucchielli, sociologue de la délinquance, de plus en plus de comportements sont perçus comme déviants et pénalisés. Or, « les violences sont les symptômes, les techniques ou parfois le dernier langage pour exprimer en réalité autre chose : des conflits, des compétitions, des dominations, des inégalités… ». Il est donc nécessaire d’analyser cette « autre chose » si l’on souhaite comprendre les origines et les causes profondes afin d’envisager des parades.

Pour apaiser les situations, il est essentiel de comprendre les enjeux de la relation à l’usager. Cette relation est une interaction sociale structurée par des expériences antérieures, des modes d’organisation, et un contexte socioéconomique. Les agents publics et les opérateurs de service public ont un rôle majeur à jouer en tant que médiateurs entre les usagers et les politiques publiques.

  1. L’environnement sociétal se dégrade :

En mars 2022, le député Patrick Vignal relevait la situation préoccupante dans son rapport au Premier Ministre « Remettre de l’humain dans les territoires » :

« Le vivre en société est menacé par plusieurs défis : la prépondérance des situations de conflits et de tensions, les violences et toutes formes d’incivilités détruisent durablement les relations sociales. L’isolement relationnel, la précarité économique, la fracture numérique, ainsi que les crises impactent également ces relations. Ces difficultés sociales sont ressenties par les citoyens dans leur vie de tous les jours et elles favorisent un sentiment d’abandon, voire de marginalisation. Une reconstruction du lien social est nécessaire. »

Cette situation de violence se confirme dans les résultats statistiques de la mesure de l’insécurité et du sentiment d’insécurité ressenti par les citoyens. Le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) conduit l’enquête nationale de la statistique publique Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) depuis 2022. Cette enquête annuelle de grande ampleur s’inscrit dans le prolongement de l’enquête de victimation Cadre de vie et sécurité (CVS), réalisée entre 2007 et 2021. À l’instar de l’enquête CVS, les objectifs poursuivis restent les suivants : mesurer l’insécurité ressentie et les faits de délinquance dont les individus ont pu être victimes au cours de leur vie ; analyser les préoccupations de la population en matière de sécurité et leurs opinions vis-à-vis de l’action des forces de sécurité sur le territoire français.

Les chiffres montrent une forte dégradation du ressenti et du sentiment d’insécurité de la population française qui contribue à la dégradation du lien social et à l’évolution des codes de « savoir-vivre ensemble » qui mettent à l’épreuve les rapports entre les individus.

C’est dans ce contexte qu’est née l’ambition du Plan de protection des agents publics avec notamment la création d’un baromètre annuel pour mesurer les actes violents subis par les agents publics et les collaborateurs des opérateurs de service public. En septembre 2023, le ministère de la transformation et de la fonction publique présentait les 3 piliers de ce plan :  Mieux qualifier, Mieux prévenir, Mieux protéger.

  1. Les transformations de la relation avec l’usager

Les causes profondes des violences au guichet ou au téléphone sont multiples. L’individualisation des politiques sociales et leur contractualisation peuvent rendre le « face-à-face » avec l’agent plus sensible au regard des enjeux pour l’usager. En effet, les usagers peuvent se sentir frustrés par des décisions qu’ils perçoivent parfois comme injustes ou arbitraires. De plus, la complexité des conditions d’accès aux prestations et la précarisation de certaines catégories professionnelles a amplifié la fréquence des échanges.

La relation est par nature déséquilibrée, l’agent représente une organisation ayant une autorité discrétionnaire qui peut être contestée par l’usager. La dématérialisation des démarches a pu donner un sentiment de déshumanisation de la relation avec les organismes. Quant à la complexité des conditions d’accès aux droits, elle se traduit par un renforcement du pouvoir d’appréciation confié aux agents, notamment pour interpréter les situations rencontrées toujours sensibles (comment apprécier « les actes positifs de recherche d’emploi » d’un chômeur, identifier « l’isolement » d’une mère ayant un enfant à charge…).

La dématérialisation des procédures : La dématérialisation des procédures et la généralisation des portails internet ont rendu possible l’avènement d’une administration à distance adaptée aux usagers familiarisés avec l’outil informatique. Cependant, ces évolutions technologiques ont aussi accentué les difficultés chez certains usagers qui, en plus d’être mal à l’aise avec le langage administratif et la technicité du droit, ne sont pas habitués à utiliser l’ordinateur pour remplir des formulaires ou répondre aux courriers de l’administration.

Le rapport jugé dissymétrique : Le rapport qui se noue à l’accueil ou dans la relation téléphonique est une relation perçue comme dissymétrique entre des agents ayant la nécessité d’une application rigoureuse du droit et des usagers placés en situation de requérants. Les politiques publiques, recherchant un traitement individualisé, laissent la possibilité à l’usager d’interpréter chaque décision négative ou différée dans le temps comme un refus de reconnaître sa situation de souffrance sociale. Cette dissymétrie dans la relation entre agents et usagers peut engendrer des tensions et des malentendus.

campagnes publiques incivilités institut 410

Des solutions à mettre en place pour prévenir et gérer ces comportements

Comme le rappelle l’INRS, les enjeux en termes de santé physique et psychologique des salariés exposés sont nombreux, tout comme les incidences de ces violences sur le fonctionnement et le climat social au sein des entreprises.

Face à cette situation préoccupante, il est important que les employeurs mettent en place des mesures adaptées pour prévenir et gérer ces problèmes. Plusieurs pistes d’action peuvent être envisagées :

  1. Former et outiller les collaborateurs

Une formation adéquate du personnel en contact avec le public est primordiale. Ils doivent être en mesure d’identifier les signaux avant-coureurs d’une potentielle escalade, de savoir comment réagir face à une situation d’agressivité et de disposer d’outils pour désamorcer les conflits. Des techniques de communication non-violente, de gestion du stress et de résolution de conflits doivent être proposées.

  1. Mettre en place des procédures claires

Les organismes doivent définir des protocoles précis sur la marche à suivre en cas d’incident. Quelles sont les étapes à respecter ? Qui alerter ? Comment consigner les faits ? Ces procédures doivent être connues de tous les employés et régulièrement réactivées.

  1. Offrir un soutien psychologique

Le traumatisme vécu par les collaborateurs suite à des agressions verbales ne doit pas être négligé. Il est important de leur proposer un suivi psychologique, que ce soit individuellement ou sous forme de séances de groupe. Cela permet de les aider à surmonter ces événements et à prévenir d’éventuels troubles plus sérieux. Ce suivi peut être mis en place immédiatement après les faits et/ou différé dans le temps pour en maximiser la portée.

  1. Impliquer la direction et l’ensemble de la ligne managériale

L’engagement de la direction et des managers est essentiel pour lutter efficacement contre ce phénomène. Les responsables doivent clairement afficher leur tolérance zéro face aux comportements violents et irrespectueux et s’assurer que les collaborateurs se sentent soutenus et défendus en cas d’incident.

  1. Sensibiliser les usagers

Une campagne de communication à destination du public peut aussi s’avérer payante. Il s’agit de rappeler les règles de base du savoir-vivre et du respect, et d’expliquer les conséquences des actes d’agressivité sur les collaborateurs et le fonctionnement de l’accueil du public. Cela peut contribuer à faire évoluer les mentalités.

  1. Appliquer des sanctions

Lorsque les tentatives de médiation et de désescalade échouent, il peut être nécessaire d’envisager des sanctions à l’encontre des usagers les plus récalcitrants et aux actes pénalisables. Cela peut aller du simple avertissement aux sanctions pénales graduées selon le niveau répréhensible des actes commis.

 

 

Les agressions verbales, les incivilités et les violences dans les espaces recevant le public sont des problèmes sérieux qui nécessitent une attention particulière. En adoptant une approche globale, à la fois préventive et curative, les organismes peuvent espérer réduire significativement le nombre d’agressions verbales et d’incivilités envers leur personnel. Cela passe par la formation, le soutien, la communication et, en dernier recours, la mise en place de sanctions dissuasives.

Au-delà des bénéfices immédiats pour les agents, cette démarche aura également un impact positif sur l’image et la qualité de service de l’organisation. Elle permettra de créer un environnement de travail plus sain et sécurisant, propice à l’épanouissement des équipes et à la satisfaction des clients et des usagers.