Démarche d’« aller vers » les usagers : pour une protection sociale plus efficiente et préventive

personne âgé téléphone libre de droits

Les organismes de protection sociale sont aujourd’hui confrontés à un défi majeur : atteindre les publics les plus fragiles, ceux-là mêmes qui n’expriment aucune demande d’aide. Le modèle traditionnel, centré sur le guichet physique ou portail numérique, où l’usager doit prendre l’initiative, trouve ses limites. En effet, plus de 30 % des Français renoncent à effectuer les démarches nécessaires pour accéder aux aides auxquelles ils ont droit, principalement à cause d’une complexité administrative croissante et de la dématérialisation accélérée des services.

Dans ce contexte, l’approche dite de l’« aller-vers » émerge comme une réponse pertinente et nécessaire. Cette démarche consiste à aller proactivement vers les personnes vulnérables ou isolées afin de leur présenter leurs droits, leur offrir un accompagnement, et prévenir les ruptures de parcours. Bien que récemment remise au goût du jour par les politiques publiques, notamment dans le cadre de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté¹, cette méthode trouve son origine au cœur du travail social.

L’« aller-vers » : une philosophie d’action transversale

L’« aller-vers » est avant tout une véritable posture proactive intégrée à toutes les activités professionnelles. Ainsi, chaque agent peut initier une démarche proactive en relançant un usager qui n’a pas répondu à une sollicitation. Cette approche transforme le service public traditionnel basé sur la demande en un service d’offre : les citoyens sont contactés pour être informés des droits auxquels ils peuvent prétendre.

Des exemples concrets dans les organismes de Sécurité sociale

Sous l’impulsion des Conventions d’objectifs et de gestion (COG), les caisses de protection sociale ont systématiquement adopté une logique proactive d’accès aux droits et prestations.

  • Les Caisses d’Allocations Familiales (CAF) ont développé des actions préventives ciblées. Par exemple, elles offrent un soutien renforcé proactif en cas de décès d’un proche. Avec le dispositif ARIPA, elles mettent en place une intermédiation financière pour sécuriser le versement des pensions alimentaires.
  • L’Assurance Maladie (CNAM) mène depuis longtemps des actions proactives de prévention santé, telles que les dépistages systématiques (bucco-dentaire, cancers, diabète, etc.), directement proposés aux assurés concernés. Entre 2023 et 2027, elle prévoit de multiplier par quatre ses moyens dédiés à cette politique proactive. Au sein des Cpam, des missions d’accompagnement santé sont mises en place pour lutter contre le renoncement aux droits et aux soins.
  • L’Assurance Retraite (CNAV), avec le réseau des Carsat, contacte systématiquement les futurs retraités plusieurs trimestres avant l’âge légal afin de les informer sur leurs droits et d’organiser des rendez-vous anticipés. Cette démarche permet de repérer et d’accompagner proactivement ceux qui pourraient ignorer certains droits (minimum vieillesse, ASPA).

Des initiatives similaires d’une démarche d’« aller-vers » sont également déployées dans le réseau des Urssaf et dans les caisses MSA.

Un exemple emblématique est le dispositif national France Services², qui permet en un même lieu de réaliser plusieurs démarches administratives afin de rapprocher les services publics des citoyens, en particulier dans les territoires ruraux et isolés. Même si physiquement ce sont les usagers qui viennent dans ces espaces, la logique est d’aller vers les territoires délaissés par les services publics.

L’Institut 4.10 a mis en lumière cette thématique dans la revue Espace social européen N°1279 – 23 mai 2025

Bénéfices concrets de l’« aller-vers » pour les usagers

La démarche proactive produit des bénéfices tangibles immédiats. Premièrement, elle réduit considérablement le non-recours aux prestations sociales, permettant à une majorité des personnes accompagnées (jusqu’à 63 % selon certaines expérimentations) d’accéder effectivement à leurs droits.

De plus, en matière de santé, cette approche favorise la détection précoce de pathologies, améliorant ainsi la santé publique à long terme. Globalement, l’« aller-vers » construit un service public plus juste, ciblant précisément les populations qui en ont le plus besoin, au bon moment, avec efficacité. Pour les organismes sociaux, c’est également une occasion unique de redonner du sens à leur mission première.

Organisation de la démarche et adaptation des pratiques professionnelles

La mise en œuvre d’une démarche d’« aller-vers » implique une profonde transformation interne, tant au niveau des pratiques que du pilotage managérial. La culture « administrative » traditionnelle évolue vers davantage de proactivité et de promotion des offres de services.

Pour réussir cette transition, les directions et les managers doivent clairement communiquer sur l’objectif et les bénéfices attendus, tout en rassurant leurs équipes sur la nature du changement. L’objectif étant d’adopter de nouvelles méthodes plus efficaces au service des usagers en lien avec les orientations des politiques publiques.

Un accompagnement par la formation est essentiel pour maîtriser les techniques de contact proactif, y compris via les outils numériques, tout en respectant une éthique rigoureuse et une approche « humaine ».

L’offre de formation de l’Institut 4.10

Pour répondre à ces enjeux, nous proposons différentes offres de formation pour accompagner ce type de démarche.

En partenariat avec les Caisses nationales, les formations des Gestionnaires conseil et des Conseillers service intègrent dans leurs parcours les modules nécessaires à la promotion des offres de service des branches. Ces formations favorisent l’adoption d’une posture adéquate au contact des assurés et des usagers.

Également, plusieurs modules spécifiques ont été déployés pour favoriser le développement des compétences en matière d’entretien avec les usagers :

L’accompagnement des managers qui encadrent ce type d’activités est également à prendre en compte pour assurer le pilotage quotidien des équipes dédiées au « aller vers » et les résultats attendus.

Enfin, selon l’organisation et les moyens mis en œuvre au sein des organismes, les besoins de formation et d’accompagnement peuvent être spécifiques. Nos équipes vous accompagnent dans vos projets afin d’élaborer des réponses sur-mesure à déployer dans votre organisation.

Echangeons sur vos projets et vos attentes spécifiques.

usager explications

L’avenir des démarches d’« aller-vers »

Plusieurs leviers peuvent permettre le développement de ce type de démarche en renforçant son efficacité :

  • Levier numérique et data : mieux exploiter les données pour identifier précisément les publics à cibler, tout en assurant une communication transparente pour rassurer sur l’usage de ces données. Les techniques d’analyse prédictive peuvent aider à repérer, parmi les fichiers d’usagers, ceux qui présentent un risque de non-recours ou de rupture.
  • Levier humain et partenarial : s’appuyer sur les acteurs locaux et la pair-aidance pour toucher les personnes invisibles aux bases de données. Les acteurs de terrain (associations, travailleurs sociaux de proximité, centres communaux d’action sociale, médiateurs, etc.) ont une connaissance fine des situations et des personnes isolées. Travailler en partenariat avec eux permet d’identifier les situations cachées, orienter les personnes vers les dispositifs, voire accompagner conjointement lors des premiers contacts.
  • Levier simplification et innovation : faciliter l’accès effectif aux droits par des démarches simplifiées et des formats d’accueil innovants. Travailler sur la simplification des formulaires, la lisibilité des courriers, ou mettre en place l’instruction accompagnée (où l’agent complète avec la personne le dossier sur le terrain) sont autant de leviers pour concrétiser l’accès aux droits. Enfin, expérimenter des formats d’accueil et de contact plus souples (bus itinérant, permanences chez des partenaires, entretien en visio, appels sortants…) pour rapprocher l’usager du service.

 

La démarche d’« aller-vers » marque un changement fondamental dans l’approche du service public, passant d’un modèle réactif à un modèle résolument proactif. L’avenir du service public de la protection sociale dépendra donc de sa capacité à équilibrer judicieusement le numérique et l’humain, pour construire une relation durable de confiance avec tous les citoyens, en particulier les plus éloignés de leurs droits.

Les prochaines années verront sans doute une montée en puissance de cette approche. L’essor du numérique et de l’intelligence artificielle peut donner des moyens inédits de détecter et d’atteindre les publics en difficulté. Parallèlement, le besoin de présence humaine sur le terrain restera primordial : rien ne remplace le contact humain pour établir la confiance et accompagner les personnes durablement.

Adopter cette démarche, c’est réaffirmer la vocation première des organismes de Sécurité sociale : assurer à chacun, sans distinction, l’accès à ses droits fondamentaux. C’est un enjeu de cohésion sociale et de justice, en même temps qu’un gage d’efficacité collective.

  1. La Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (lancée en 2018) promeut cette approche proactive pour aller au-devant des personnes en situation de précarité et « activer l’ensemble des leviers pour combattre à la source les inégalités avant que les difficultés ne soient installées, dans un objectif de repérage et de prévention, plutôt que de réparation ».
  2. Lancé par l’État en 2019, le réseau France Services vise à réduire la distance entre les usagers et les services publics en milieu rural ou dans les quartiers. Il s’agit de guichets uniques de proximité, où en un même lieu sont réunis plusieurs opérateurs (Caf, Cpam, Pôle emploi, Carsat, La Poste, Finances publiques, etc.) avec des agents formés pour accompagner aux démarches.